Virginie Rebetez
La Femme au nom effacé, 2020
Intention
Ce recueil de procès et confessions pour faits de sorcellerie, instruits et jugés sur la Montagne de Diesse entre 1611 et 1667, contient celui d’une femme devenue anonyme, son nom ayant été déchiré ; « La Femme au nom effacé ». « Son nom et origine ont été intentionnellement effacés par la déchirure du coin du feuillet. En lisant le reste du texte, on comprend d’elle que c’est une femme âgée : sous la torture, elle avoue avoir rencontré le diable il y a 48 ans déjà. Les faits qui lui sont reprochés sont les mêmes que ceux que l’on retrouve dans les autres procès : elle reçoit du pucet avec lequel elle tue gens et bêtes et danse avec ses complices. Un long épisode retient néanmoins l’attention, il décrit comment cette sage-femme, qui a exercé son métier durant quarante ans environ, fait avorter la fille de sa sœur, enceinte des œuvres de son oncle, et tente de faire disparaître le corps du nouveau-né. La déchirure de la page prive la femme de son nom. Elle nous permet aussi de saisir à contrario ce que sont devenus ces procès pour nous aujourd’hui : la sentence qui condamnent ces femmes et les hommes à être brûlés sur les bûchers précise que leurs cendres seront dispersées aux quatre vents afin que d’eux ne soit plus de mémoire. Aujourd’hui, paradoxalement, les procès qui disent leur condamnation sont précisément ceux qui conservent leur mémoire. «
Sylviane Messerli, Directrice de Mémoires d’ici, St-Imier
© Virginie Rebetez, © Fondation Mémoires d’Ici, FER 1
Prune Simon-Vermot
Les limites du système
Intention
Ce projet parle de l’autisme et plus généralement du syndrome d’Asperger. Ce trouble du spectre autistique, largement répandu, constitue encore aujourd’hui une nébuleuse bien complexe. Il est intimement lié à des mythes archaïques et tenaces, qui participent à lui donner une image tantôt effrayante et tantôt mystérieuse.
La différence dans notre société est tolérée si et seulement si elle est inféodée à l’idée de réussite et d’excellence et l’extravagance est alors non seulement acceptée mais valorisée. Un autiste est acceptable s’il correspond à des critères bien précis, oscillant entre capacités exceptionnelles et mutisme profond. Être autiste c’est se faire violence tous les jours. Se faire violence pour participer à un monde absurde et toujours indélicat, pétri de maladresses diverses et permanentes. C’est jouer à être un autre, à camoufler son hypersensibilité, à essayer d’avoir toujours un coup d’avance, de dissimuler, de s’adapter. Au travers de ce travail j’ai eu envie de déconstruire les schémas socio-culturels liés à ce trouble du spectre autistique. La crainte de la plupart des autistes est d’échouer doublement, échouer à être normal, intégré et parfaitement adapté et échouer à être différent, à coller à l’image du savant silencieux, étrange et extraordinaire. Ce projet est à voir comme un journal de bord à la fois réaliste et métaphorique, qui suit un jeune homme atteint de ce syndrome. C’est un voyage entre démystification et onirisme qui flirte toujours avec les limites du système.
Aladin Borioli
Things don’t happen in human vision, 2020
Intention
Things don’t happen in human vision fait partie intégrante d’une recherche (Apian) qui explore les relations millénaires que tissent les abeilles avec les humains et vice versa. En continuelle évolution, mêlant une approche anthropologique et une pratique de l’art et de l’apiculture Apian se propose d’étudier les zones de contact (cf. Donna Haraway) entre ces deux espèces. À travers cette recherche, j’examine la façon dont les relations entre les abeilles et les humains se sont construites conjointement à travers des rencontres tant écologiques, sociales, historiques, philosophiques ou qu’esthétiques.
Cette pièce mélange des images d’archives et du texte afin de questionner les limites du monde sensoriel humain et son hégémonie du voir, en le confrontant à celui des abeilles. Deleuze et Guattari proposent l’acte de penser les êtres par leurs milieux ; non pas que le milieu définisse les êtres, mais qu’on ne peut les pensées sans eux.1 D’après Uexküll, chaque espèce habite son propre monde sensoriel qu’il nomme Umwelt et qui est limité par ses sens. L’Umwelt est défini non seulement par les organes sensoriels, mais aussi par les décisions d’attribuer du sens aux différents sujets et objets le peuplant. Les récentes catastrophes, à l’image de la pandémie actuelle ou des dépressions écologiques, nous montrent, une fois de plus, les limites de nos Umwelten. La pièce interroge nos manières de ressentir le monde – limité par nos organes sensoriels – et l’importance de créer du sens dans un environnement commun. La théorie d’Uexküll démontre que les Umwelten changent radicalement suivant les choix d’attribution du sens par les acteurs du milieu. Aujourd’hui, il est urgent, même vital, de changer en commun, et de manière située, notre manière de faire sens du monde tant d’un point de vue sensoriel que sémantique. L’humain est aveugle aux catastrophes, mais les non-humains aussi. S’il nous reste une chance, même maigre, de les anticiper, elle se trouvera sans doute dans une collaboration située et interspécifique.
© 2020, Aladin Borioli
Cyril Porchet
Intention
J’ai voulu aborder de manière directe des dispositifs contemporains liés au pouvoir, à savoir les structures construites à l’occasion des assemblées générales des actionnaires (AG). J’ai photographié de manière frontale les structures temporaires construites à l’occasion des AG des actionnaires d’UBS, Siemens, Novartis, Allianz, etc…
De fait, ces structures architecturales renvoient directement à un certain nombre de dispositifs historiques de contrôle des corps : la rhétorique architecturale des palais de la monarchie absolue avec leurs allées royales, les conventions politiques de régimes totalitaires avec une organisation des spectateurs en « formation légion », rassemblement se déroulant dans des stades ou des salles de spectacle.
En photographiant ces dispositifs, j’ai surexposé les éléments principaux de manière à mettre en évidence leurs données structurelles et contextuelles. Ceci révèle les « environnements » de ces manifestations, qui sont des stades ou des salles de spectacle, ainsi que l’organisation quasi-militaire des rangées de chaises. La surexposition crée également un effet visuel « d’abstraction » qui fait tendre ces mêmes structures vers des formes sculpturales lumineuses et encore plus épurées. Ces mises en scène éphémères fonctionnent alors comme des prismes iconiques du spectaculaire et du pouvoir.
Ce travail tente de montrer une connexion entre les formes des dispositifs de contrôle idéologique produits par le pouvoir économique corporatif dans la société contemporaine, et les formes des dispositifs de contrôle des corps dans les pouvoirs spectaculaires historiques. L’installation en échafaudages permet d’amplifier ces structures et ainsi faire glisser la photographie bidimensionnelle en une forme de sculpture monumentale à explorer sous différant angles, la toile blanche au recto de l’image et la structure en échafaudages faisant une forme d’échos au contenu de l’images.
© 2012, Galerie C, Neuchâtel
Beat Schweizer
The search | Udachny, Russie, juin 2019
The open-pit | Udachny, Russie, juin 2019
Vitali | Udachny, Russie, juin 2019
Kylie in the Garge | Russie, juin 2019
Intention
Les quatres images présentées ici sont un extrait d’une série en cours de réalisation concernant la vie quotidienne de la ville russe Monotwons. Monotwon, du mot russe Monogrorod, est une ville ou région dont l’économie est dominée par une seule industrie.
Udachny, qui se traduit approximativement par succès ou chance est une colonie de type urbain dans l’extrême nord de la Yakoutie, en Russie. Elle a été construite dans les années 60 pour loger des personnes travaillants dans l’industrie minière du diamant. La ville abrite environ 12 000 personnes et attire les personnes en quête d’emploi.
Graziella Antonini
Intention
Sapin blanc, 2019
« Maintenant je sais le reconnaitre, car comme elle me l’a appris, quand on froisse les aiguilles du sapin blanc entre les doigts, ça sent la mandarine. »
Tulipier de la rue du Midi, 2019
« Elle parque sa voiture sous les tulipiers de la rue du Midi. La première fois que je les ai vraiment regardés, c’est avec elle. »
Depuis quelques années je collecte des plantes, des graines et des pierres, des petits objets qui sont la mémoire de mes expériences, de mes déplacements. Je les photographie. Des détails, des échantillons, des fragments de paysage. J’essaie d’identifier les végétaux, de leur donner un nom, de retrouver leur famille. Je rassemble des données, note des trajectoires.
Sophie Brasey
Social Distancing, 2020
Intention
Ces images ont été prises en Suisse durant la période de confinement imposée par le Gouvernement en raison de la pandémie de Covid-19.
Les photographies questionnent la notion de distanciation sociale. Ici imposée, la solitude existe pourtant au quotidien pour de nombreuses personnes.
Seuls, dans un décor calme et vide, ces personnages semblent en attente, coupés du monde. Sont-ils si solitaires en raison de la quarantaine, ou ces mêmes images auraient-elles pu être prises en dehors de ces circonstances exceptionnelles ?
Les architectures, objets de loisirs ici détaillés alors qu’ils sont mis hors service, deviennent des objets absurdes, irréels, angoissants, tout comme les paysages dans lesquels se trouvent ces individus. La notion d’échelle renforce ce sentiment de solitude et nous renvoie à notre propre position dans la société et le monde qui nous entoure.
© 2020, Sophie Brasey
Catherine Leutenegger
Feather, 2018
Intention
Dans le prolongement de son récent travail explorant la science à l’Ecole Poly-technique Fédérale de Lausanne, Catherine Leutenegger développe une démarche artistique où les outils d’acquisitions visuels employés dans le milieu scientifique complètent – voire se substituent complètement – au matériel photographique conventionnel. Cette approche polymorphe des moyens utilisés à la création d’images brouille volontairement les pistes de lecture et la compréhension du processus de réalisation. Le résultat final s’éloigne subtilement de la photographie traditionnelle, tout en en conservant certains codes. Les images aux rendus mystérieux des matières invitent à la contemplation et nous confrontent aux nouveaux langages esthétiques émergeant des dernières technologies. Feather est une micro-tomographie à rayon X représentant le fragment d’une plume d’oiseau. Cette acquisition visuelle est composée de la juxtaposition de plusieurs milliers d’images générées par un instrument scientifique – unique en Suisse – permettant la reconstitution de la structure d’un objet en trois dimensions, couche par couche, et ce avec une grande précision dans le rendu des matières. Cet appareil appelé tomographe offre la possibilité d’analyser les propriétés extérieures et intérieures d’un matériau sans l’altérer. Ce procédé dont la résolution peut atteindre jusqu’à quelques microns pour des objets de petite dimension est utilisé à l’EPFL dans divers domaines de recherches dont l’ingénierie, la médecine et l’archéologie.
© Plateforme PIXE EPFL & Catherine Leutenegger
Guadalupe Ruiz
Veranda & Anturios, 2020
Intention
Chaque année, je rends visite à ma famille et à mes proches en Colombie et à chaque fois je me demande quel matériel photo je vais prendre dans mes bagages. Cette année, je voulais voyager léger. J’ai juste pris un 35mm et mon smartphone. Le fait d’utiliser la caméra de mon téléphone, si banale et à la portée de tout le monde, a peut-être rendu mon travail plus spontané et plus léger. Les 2 images que je propose viennent de mon smartphone, je les ai choisies parmi tant d’autres. Elles n’ont aucune relation entre elles. Ce sont des représentations de ce que je vois à un moment précis.
© 2020, Gadalupe Ruiz
Yann Laubscher
Liévaïa Tchapina, L’Appel, 2010-2020
Kamtchatka, L’Appel, 2010-2020
Intention
Initiée en 2010, la série intitulée L’Appel s’est construite autour de plusieurs séjours effectués par le photographe suisse dans les territoires sauvages de la Russie, tels que la Sibérie, le Kamtchatka et l’Oural. Associant portraits, paysages, et objets, sans que les repères chronologiques et géographiques soient signifiés distinctement, L’Appel constitue moins un travail sur la Russie qu’une plongée sur les traces d’une vie rude et précaire, « mais pleine d’une libre dignité ». Rivières, taïgas, toundras ou péninsules volcaniques : les photographies visent à créer le récit du cheminement d’un groupe de personnages à travers un milieu hostile, avec une rivière pour fil conducteur. Adoptant la place de l’observateur impliqué, tout à la fois situé à l’intérieur et à l’extérieur de son sujet, Laubscher rend-t-il compte d’une forme de liberté ou d’enfermement ? Quelle part de résistance implique ce mode de vie en rupture ? Cet isolement est-il souhaité ou subi ? Les individus saisis par Yann Laubscher semblent suspendus dans cette ambiguïté. Ils apparaissent dans un même mouvement présent et absent au monde, physiquement tendus par la beauté résistante, presque animale, de leur mode de vie, mais intérieurement travaillés par une forme de renoncement, d’abandon. Sans rechercher la simplification ni obéir à une quelconque logique, le photographe structure un langage plutôt qu’un style. Noir et blanc ou couleur, plan large ou vision rapprochée… : chacune de ses images est avant tout régie par son propre point d’équilibre.
© Yann Laubscher