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Format 2018

Yannic Bartolozzi

Passage, de la série Les Chaux et Ciment, 2015

«Maintenant, Axel, s’écria le professeur d’une voix enthousiaste, nous allons nous enfoncer véritablement dans les entrailles du globe. Voici donc le moment précis auquel notre voyage commence.»

Jules Verne,Voyage au centre de la terre.

 

Les Chaux et Ciment. Cinq mystérieuses cavités. Dans le village, seules quelques personnes, encore, se souviennent. Dans les faits, ce nom appartenait à l’usine fondée en 1898. Elle ferma ses portes en 1960. Fin d’une histoire. L’usine fut dynamitée en 1964 par l’armée. Les galeries ont, quelques temps encore, servi de refuge pour la culture de champignons, puis furent laissées à l’abandon. Seules les chauve-souris et quelques spéléologues s’aventurent encore dans le grand labyrinthe de dix-sept kilomètres. Cinquante ans plus tard, les photographes Jean-Noël Pazzi et Yannic Bartolozzi ont décidé d’explorer ces vestiges. Là, derrière un grand portique en métal, souffle l’air froid et mort des entrailles de la montagne, il y a une odeur humide et minérale. Un grondement, comme une rivière aspirée par un siphon, attend les visiteurs. L’atmosphère est donnée: seul, ici, l’imaginaire peut encore y pénétrer, et il y va comme dans Le voyage au centre de la terre de Jules Verne, prêt à y rencontrer l’histoire somnolente des mines désaffectées de Baulmes. Le travail alors proposé est de l’ordre d’un voyage ténébreux, explorant et rapportant des images d’un autre temps ou d’un autre monde.

Texte: Jean-Noël Pazzi

Elisa Larvego

1. Zone ouest de la jungle de Calais
2. Amber & Mohammed, Zone sud de la jungle de Calais

De la série Chemin des dunes, Commande Cnap – PEROU, 2016

Commande du Centre national des arts plastiques (Cnap) et de PEROU (Pôle d’exploration des ressources urbaines) intitulée « Réinventer Calais »

 

Ce travail photographique évoque les liens entre les bénévoles et les réfugié(e)s vivant ou travaillant dans la jungle de Calais. L’image des bénévoles étant très peu représentée dans les médias, il m’a semblé important de m’intéresser à leurs présences, eux qui étaient pourtant essentiels à l’organisation du campement.

L’environnement est aussi représenté à travers ces images, grâce aux portraits qui dévoilent autant la personne que l’espace qu’elle occupe, mais aussi avec des vues de paysages et d’architectures qui permettent d’élargir et de complexifier l’idée que l’on se fait de ce territoire. Ces photographies montrent les différents lieux de vie de ces personnes : le centre d’hébergement des femmes, le campement des bénévoles et la jungle. Elles parlent de l’aspect hétéroclite de cet environnement spatiale et humain de part la diversité des origines et des cultures des bénévoles et des réfugié(e)s. Hétéroclisme que l’on retrouve dans les divers habitats de la jungle qui se retouvent côte à côte avec le camp aménagé par l’état, mêlant ainsi auto-constructions et containers.

Ces images sont avant tout la trace de mes rencontres avec ces gens, avec ces lieux. Elles sèment le doute sur le statut des personnes représentées, ne précisant par leur rôle d’aidant ou d’aidé et montrant par là-même l’absurdité d’une identité qui entrave ou qui libère selon son lieu d’origine

Thomas Flechtner

YOGI, 2018

Ici c’est un bon endroit pour vivre !

Matthieu Gafsou

La Chaux-de-Fonds 39, de la série la Chaux-de-Fonds, 2010

Nocturne # 1, de la série Nocturnes, 2013

Le bateau, de la série La fabrique de la nature, 2013

Le temple, 2014

Stéphanie Gygax

FORM FLOWS I – II (2016/2018)

Ce projet explore la représentation visuelle de l’artefact et l’imaginaire qui l’accompagne.

Des objets ont été fabriqués à partir d’éléments trouvés dans la nature, improvisés en expérimentant librement la recherche d’une forme originelle. Malgré leur absence de valeur scientifique, ils ont été photographiés sur un fond de couleur unie pour suggérer une collection archéologique. Ils questionnent ainsi notre conception d’une forme primitive de l’outil et son image fantasmée.

Les photographies, replacées dans la nature, permettent à ces objets de se charger d’une force d’évocation supplémentaire, mettant en perspective la transformation de la matière, ou de manière plus vaste, l’interaction de tout être vivant avec son environnement.

Elles nous invitent à concevoir l’activité humaine comme créatrice d’un monde de formes émergeant d’une matière en mouvement continu, quelque part entre le moléculaire et le cosmique.

Julien Heimann

Sans titre, de la série Sun day, 2015

Sans titre, de la série Sun day, 2015

Sans titre, de la série Sun day, 2015

Sans titre, de la série Dead end, 2017

Le projet pour l’exposition Format est le fruit de deux séries, Sun day et Dead end.

 

Sun Day

Un dimanche matin à la plage, pour se ressourcer, pour oublier, pour ne pas penser. Une éternité sur la plage, témoignage du chaos, du désastre écologique, de l’inconscience humaine. La rencontre de deux mondes occupants les mêmes espaces, en des temps différents, sans jamais se croiser.

Dead end

Le Salton Sea, situé à trois heures de Los Angeles, fut un lieu courtisé, fantasmé. Les plus grands venaient s’y montrer, y passer du bon temps. Les fêtes y étaient grandioses. Aujourd’hui, la zone est abandonnée, elle a été tuée par les mêmes qui souhaitaient sa réussite.

Son lac, résultat d’une gigantesque erreur humaine au début du 20e siècle, fut le déclencheur de son éclosion éphémère, mais aussi la cause de son déclin. Le 4 août 1999, alors que l’écosystème du Salton Sea était déjà très perturbé, depuis plusieurs années, 7,8 millions de poissons y mourrurent en quelques heures. La cause de cette extinction fut la prolifération rapide d’une algue verte, favorisée par la chaleur et les hauts taux en phosphates et nitrates regetés dans le lac par l’agriculture, pratiquée de manière intensive dans toute la région. Cet événement sonna la fin des espoirs pour cette région qui à une certaine période attirait plus de touriste que le parc du Yosemite. Cet anéantissement brutal a laissé à l’abandon une région que personne ne semble aujourd’hui vouloir réellement réhabiliter et qui connaît un taux toujours plus élevé de cancer parmi la population contrainte d’y vivre

Steeve Iunker

Nicolas Fraisse, de la série Tenter L’invisible, 2018

Nkisi Nkondi, de la série Tenter L’invisible, 2018

Les dimensions invisibles

Dans chaque culture, on trouve des histoires de lieux hantés, d’apparitions, de médiums et, plus généralement, de phénomènes dits « paranormaux » ou « surnaturels ». Ces histoires disent et organisent le lien entre le monde physique, matériel et un monde invisible et immatériel conçu comme positif ou négatif, lumineux ou dangereux.

On peut s’intéresser à cette dimension de l’invisible et de son intersection avec le monde matériel du point de vue de la croyance, du point de vue social et anthropologique ou encore du point de vue de l’histoire des religions, en considérant l’évolution de ces phénomènes et de leur réception selon leur inscription dans un courant religieux ou ésotérique donné. De nombreuses publications en sont le signe et explorent des aspects variés et des compréhensions différenciées de ces phénomènes. Il existe également toute une série d’expériences scientifiques menées sur des médiums, des guérisseurs ou des voyants, par exemple, pour essayer d’objectiver, de prouver ou d’infirmer leurs « pouvoirs ».

Une approche poétique et non dualiste

On peut également approcher cette dimension de l’invisible de manière poétique, en la considérant comme une invitation au voyage et à la curiosité et en ne cherchant pas tant à objectiver des représentations et des récits qu’à se demander ce qu’ils disent de nous et de notre sensibilité, de notre compréhension de la vie.

C’est ce que se propose de faire Steeve Iuncker, en explorant de manière visuelle divers lieux connus pour avoir été le théâtre d’apparitions ou de phénomènes surnaturels. Utilisant tout d’abord la sensibilité de la pellicule argentique, il s’approprie également divers outils comme le film numérique et les enregistrements sonores pour tenter de cerner des atmosphères, des sensations. Comme dans d’autres projets[1], sa démarche se veut ouverte et interrogative, subjective, cherchant la sensibilité du regardeur et ses questionnements intimes.

Ce projet est ainsi un chemin ouvert, où le photographe accepte de se laisser guider de lieu en lieu et de personne en personne, dans un territoire mystérieux où l’inattendu sera le premier invité. Prises de vue avec temps d’exposition très longs de lieux dits hantés, portraits de personnes dotées de dons de divination ou de médiumnité, enregistrements d’atmosphères sonores, séquences filmées de lieux insolites : entre captation et création, il s’agit avant tout de suggérer un monde caché tout autant que de prendre le risque de se confronter à des rencontres inconfortables, voire inquiétantes.

Le paradoxe de la photographie

Le mythe de la photographie comme trace directe du réel n’a jamais pu être complètement déconstruit dans les mentalités. Il peut donc paraître paradoxal, à première vue, d’utiliser l’indicialité de la photographie pour partir en quête de l’invisible et du surnaturel. Pourtant, la photographie est également liée, historiquement, au paranormal, comme a pu le montrer l’exposition Le troisième œil. La photographie et l’occulte en 2004-2005[2]. En effet, les milieux spirites ont régulièrement eu recours à la photographie pour prouver les phénomènes paranormaux, particulièrement entre les années 1870 et les années 1910.

Il s’agit ici de reconnaître ce registre visuel préexistant, fait d’ectoplasmes, de revenants et d’autres esprits apparaissant grâce à la double exposition et à d’autres manipulations – mais également de s’en détacher, pour s’inscrire dans une approche qui fait écho à l’évolution de la posture du chercheur, comme dans l’ouvrage fondateur de l’ethnologue Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts[3], sur la sorcellerie dans le bocage mayennais. Dans la vision scientifique contemporaine, le chercheur est ainsi souvent compris comme faisant partie de son champ de sa recherche, car il l’influence forcément. On ne cherche donc plus tant à prouver qu’à observer et décrire les interactions.

C’est sur ce mode opératoire que se fonde le photographe Steeve Iuncker. Il entend enquêter sur ces « lieux d’apparition de l’invisible » à travers un médium visuel sensible, sans chercher à argumenter mais plutôt à observer et enregistrer des traces d’éventuelles présences ou énergies qui auraient leur « mode d’existence propre »[4] – ou en tout cas à interroger notre rapport à l’invisible à travers la photographie, entre art et document.

Caroline Recher

 

[1] Voir par exemple les projets A jeudi, 15h (1996-1998), L’instant de ma mort (2012), Se mettre au monde (2014-2016).

[2] Le troisième œil. La photographie et l’occulte, commissariat de Clément Chéroux et Andreas Fischer, Maison Européenne de la photographie, Paris, du 03.11.2004 au 06.02.2005, puis Metropolitan Museum of Art à New York du 26.09 au 31.12.2005 (A Perfect Medium : Photography and the Occult).

[3] Jeanne Favret-Saada, Les mots, la mort, les sorts, Paris, Gallimard, 1977.

Thomas Maisonnasse

Tout ce qui se voit sous le soleil (le colosse), 2018

Tout ce qui se voit sous le soleil (le colosse) est l’adaptation d’un triptyque Tout ce qui se voit sous le soleil (Parc du Seujet 2) pour l’exposition en plein air FORMAT. Comme toutes les images de la série, le colosse, est une vue en noir et blanc du feuillage d’un arbre, mais ces trois images rassemblées ont une forme à part dans la série. Quasi symétrique, les deux côtés du hêtre pleureur pris en photo semblent être des bras, des ailes ; la masse des feuilles portée par les branches si particulière de l’arbre semble se soulever. L’idée était donc d’essayer dans la mesure du possible de faire tenir debout cette image, qu’elle parte du sol et comme je travaille en installation les ombres, essayer de faire se dresser cette image. Une nouvelle façon d’aborder tout ce qui se voit sous le soleil : ce qui se dresse devant lui, produisant une ombre…

Yann Mingard

Deposit, Haras national d’Avenches, suisse, 2011

Harnais pour attacher une jument en chaleur, qui servira de stimulus pour la reproduction assistée d’un étalon sur un mannequin.

La semence d’étalon est diluée dans du lait demi-écrémé avec un ajout d’antibiotique. Cette semence est répartie dans plusieurs paillettes, qui seront ensuite préservées par cryoconservation.

Selon le rapport annuel d’Agroscope (2011), 190’000 paillettes de 687 étalons sont stockées à Avenches. De même, plus de 8’500 échantillons sanguins et 180’000 paillettes de spermes congelés sont utilisés pour la recherche génétique en matière de sélection, de comportement et de santé

Deposit est le résultat d’une documentation de cinq ans sur l’entreposage de données organiques et digitales associant la photographie, la littérature, la science et l’art. Dans ce projet, Yann Mingard s’est concentré sur les “banques” qui, sous surveillance privée et/ou gouvernementale, hébergent des échantillons d’ADN humain et animal, des graines agricoles et de grandes quantités de données digitales générées par nos voyages sur Internet.

Virginie Otth

Si le loup y était, 2018

Tapetum Lucidum et réflexions nocturnes. Cette proposition est basée sur une image de presse du loup supposé être revenu en Suisse, l’image photographique ne délivre aucune preuve bien sûre. On distingue une vague forme à l’œil brillant dans la forêt, j’y ai ajouté des apparitions peu crédibles. Les pièges photographiques qu’on installe dans les forêts pour en connaître la faune ou arrêter les braconniers produisent des images énigmatiques où les yeux brillent inconsidérément. Le flash se déclenche par détecteur de mouvement, comme un style de photographie involontaire. On alterne entre une image de presse et une image de conte.

La définition est celle d’un imprimé de journal aux 4 encres, aux 4 points : jaune, magenta cyan et noir, j’ai joué auparavant avec le trouble du jpeg, avec des pixels apparents dans un travail appelé « petites définitions » qui inaugurait les téléphones/appareils photos, je joue cette fois avec la trame d’impression/journal.

Le grand format révèle la « nature », la « structure » de l’image et son appartenance à une technique, à un contexte photographique

Michal Florence Schorro

Track, bow, way, 2018

La série track, bow, way est une exploration de mon quartier, une ancienne zone industrielle dont se sont emparés les milieux immobiliers de la ville de Zurich dans l’objectif de la revaloriser.

Je me suis déplacée le long d’une voie ferroviaire désaffectée, aujourd’hui transformée en un sentier pour piétons. Il s’agit d’un espace dont chaque mètre paraît désormais exploité et planifié. Les tours d’habitations et de bureaux, de même que les parcs aménagés à l’excès, en ont fait un désert urbain.

Or, si les compositions abstraites de ces photographies contrastent avec les formes organiques du paysage du Jura Bernois, l’ambiance y est tout aussi calme: ces environnements urbains millimétrés me renvoient spontanément au vide inhabité de la campagne dans laquelle j’ai grandi quelques années.

Rudolf Steiner

Blue Movie (Shell), 2013

J’ai trouvé ce coquillage géant à Galveston, Texas, sur un terrain de minigolf.
J’aime l’idée de connoter la coquille avec un pâturage jurassien, c’est de la poésie pure

Xavier Voirol

Petit théâtre des vanités, 2015 – 2018

Honorés Camarades de l’avenir, je vous parlerai du temps et de moi. Vladimir Maïakovski – A pleine voix

Les organiques de ce PETIT THÉÂTRE DES VANITÉS, dans leur splendeur putride, interrogent sur le point de rupture – ou d’équilibre – entre l’encore vivant et le déjà trépassé.

Ils usent de la fascination qu’exerce le processus d’altération de la matière, en rappelant ainsi la finitude de toute chose et ne sont pas sans questionner une certaine idée de la beauté, dès lors que la décrépitude se voit ici mise en lumière et magnifiée. 

Martin Widmer

Erased Photography, n°17, 2018

L’artiste a commencé depuis 2017, avec la série « Erased photography », à effacer ses propres archives d’oeuvres photographique. principalement à l’aide d’acétone ou en les frottant avec du papier de verre. Paradoxalement en faisant ce geste Martin Widmer crée de nouvelles pièces qui font penser à des peintures. Ces étranges tableaux abstraits, inattendus, apparaissent sur les supports de manière hasardeuse lors d’un protocole dans lequel l’artiste a quelques moyens d’intervenir mais, uniquement de manière limitée.